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Cassation d’un jugement d’adjudication pour excès de pouvoir

L’arrêt rendu par la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation le 8 février 2024 risque d’entrainer la cassation d’un grand nombre de jugements d’adjudication pour excès de pouvoir.

En l’espèce, le débiteur saisi a formé un pourvoi en cassation à l’encontre d’un jugement d’adjudication rendu par le Tribunal Judiciaire de Béthune le 25 mars 2021, n’ayant tranché aucune contestation.

Le pourvoi rejette deux moyens qui ne posaient pas de difficulté majeure.

En premier lieu, le débiteur saisi contestait la recevabilité du mémoire en défense du cessionnaire de la créance, au motif que l’acte de cession ne lui a pas été notifié, conformément aux dispositions de l’article 1690 du Code civil.

Il convient de préciser que le FONDS COMMUN DE TITRISATION ORNUS vient aux droits de la société CREDIT DU NORD suite à une cession de créances soumise, non pas aux dispositions du Code civil, mais à celles des article L.214-169 et suivants du Code monétaire et financier.

Le Code monétaire et financier prévoit un formalisme beaucoup plus souple que celui appliqué à une cession de créances de droit commun et notamment concernant l’opposabilité de la cession, l’article L.214-169-V-2° dispose que :

« La cession des créances prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau lors de sa remise, quelle que soit la date de naissance, d’échéance ou d’exigibilité des créances, sans qu’il soit besoin d’autre formalité, et ce quelle que soit la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs ».

Logiquement, la Cour de Cassation rejette ce moyen jugeant que l’acte de cession était opposable au débiteur saisi sans qu’il soit nécessaire qu’il lui soit signifié.

En second lieu, se posait la question de la recevabilité du pourvoi formé par le débiteur saisi qui, dans un premier temps, a formé son pourvoi à l’encontre du créancier poursuivant et des créanciers inscrits, à l’exclusion de l’adjudicataire.

Le débiteur a formé un second pourvoi dirigé contre l’adjudicataire.

Le créancier poursuivant contestait la recevabilité du pourvoi au visa de l’article 615 alinéa 2 du Code de procédure civile, toutes les parties n’ayant pas été appelées à l’instance.

Toutefois, la Cour de Cassation rejette ce moyen au visa de l’article 126 alinéa 1er du Code de procédure civile, jugeant que l’irrégularité affectant le premier pourvoi, qui n’avait pas été formé contre l’ensemble des parties au jugement d’adjudication attaqué, avait été régularisée par le second dirigé contre l’adjudicataire.

Le troisième moyen ayant entrainé la cassation du jugement d’adjudication du 25 mars 2021 soulève de nombreuses interrogations.

Rappelons qu’en application de l’article R.322-60 alinéa 2 du Code des procédures civiles d’exécution, « Seul le jugement d’adjudication qui statue sur une contestation est susceptible d’appel de ce chef dans un délai de quinze jours à compter de sa notification ».

En l’espèce, à l’audience d’adjudication, aucune contestation n’a été soulevée.

Dans cette hypothèse, et en application d’une solution prétorienne, le jugement d’adjudication qui ne tranche aucune contestation n’est susceptible d’aucun recours, hormis le cas d’excès de pouvoir.

La partie saisie a en conséquence fondé son pourvoi en démontrant que le Juge de l’exécution avait commis un excès de pouvoir en application de l’article 14 du Code de procédure civile, lequel dispose que : « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ».

La Haute Juridiction a fait droit à ce moyen et cassé l’arrêt.

Cette cassation interroge, notamment au regard des règles spécifiques qui régissent la procédure de saisie immobilière, et plus particulièrement l’article R.311-5 du Code des procédures civiles d’exécution, lequel dispose :

« A peine d’irrecevabilité prononcée d’office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l’audience d’orientation prévue à l’article R. 322-15 à moins qu’elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci. Dans ce cas, la contestation ou la demande incidente est formée dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte ».

En l’espèce, nous ignorons si le débiteur saisi avait constitué avocat sur l’assignation à l’audience d’orientation qui lui a été signifiée et s’il a soulevé des contestations.

L’arrêt étant taisant sur ce point, nous en concluons que tel n’était pas le cas.

Néanmoins, nous supposons que le jugement d’orientation, fixant le montant de la créance du créancier poursuivant et la date de l’audience d’adjudication, a été signifié au débiteur saisi.

Même si cette signification ne vaut pas convocation à l’audience d’adjudication, il n’en demeure pas moins qu’elle informe le débiteur saisi de la date d’audience à laquelle son bien sera adjugé et des voies de recours qui lui sont ouvertes à l’encontre du jugement d’orientation.

Cela étant, l’arrêt de la Cour de Cassation semble considérer que cette notification n’est pas suffisante en soi et que pour éviter une cassation du jugement d’adjudication pour excès de pouvoir, le débiteur saisi doit être « dument appelé » et le cas échéant « entendu » par le Juge qui statue.

Au-delà, le jugement d’adjudication n’a pas pour vocation, en l’absence de contestation, de juger une partie, de sorte que l’on peut s’interroger sur l’application de l’article 14 du Code de procédure civile à son égard.

Enfin, on peut s’interroger sur la forme que devra prendre la convocation de la partie saisie à l’audience d’adjudication.

Le Juge de l’exécution devra-t-il prévoir dans son jugement d’orientation fixant une audience d’adjudication que la partie saisie est dument convoquée à cette audience ?

Ou bien, le créancier poursuivant devra-t-il signifier à la partie saisie une sommation d’assister à l’audience d’adjudication, comme cela se pratique en matière de procédure de licitation partage ?

Ou bien, appartiendra-t-il au greffe de procéder préalablement à la convocation du débiteur saisi à l’audience d’adjudication ?

En l’absence de texte réglementant cette obligation, on peut s’interroger sur le formalisme à respecter pour que le débiteur saisi soit régulièrement appelé à l’audience d’adjudication et notamment dans quel délai il devra l’être préalablement à l’audience.

En conclusions, cet arrêt n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre et de soulever de multiples interrogations.

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